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Publié : 8 mai 2011

les petits conquérants

Projet sur la vallée de chamonix

Les petits conquérants

Lisez le texte et cliquez sur les liens pour approfondir vos connaissances sur la vallée de Chamonix et certains de ses meilleurs alpinistes.

D’après le livre des éditions Guérin "les petits conquérants" d’après Lionel Terray par Vic Epatin

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Mont Blanc
Le Massif du Mont Blanc vu de Genève, de gauche à droite :
l’Aiguille du Midi, le Mont Blanc du Tacul, le Mont Maudit, le Mont Blanc et l’Aiguille de Bionnassay.

Photo prise sur le site : http://www.francebalade.com/alpes/index.html#mtblanc

Chapitre III du livre "Les petits conquérants"

Sur la mer de glace

Cette nuit-là, je fis des rêves extravagants. Cela se passait toujours au fond d’une crevasse. Nous y étions sans être tombés une seule fois dedans. En tout cas, personne ne s’était fait mal ni n’avait froid. Le plus étonnant était que de nous tous, j’étais le seul à imaginer des solutions pour nous sortir de là. Les autres se livraient à toutes sortes d’occupations et bavardages qui n’avait rien à voir avec la situation dramatique que nous vivions. A un moment, Pierre et Antoinette sortirent de leur sac un cahier de devoir de vacances et se mirent au travail. Une autre fois je vis notre guide boire du thé avec un groupe d’Anglais, autour d’un feu. Même mon père était là, jouant aux échecs avec Monsieur Tardini. découvrant ma présence, il s’écria :
- Qu’est-ce que tu fais là, Lionel ? Pourquoi tu n’es pas à l’école ? Tu vas encore avoir des mauvaises notes !
Il se passa encore bien des choses au cours de cette nuit, mais au réveil je les avais oubliées.

Dans le petit train du Montenvers, Monsieur Tardini nous a laissés seuls sur une banquette et est allé s’asseoir à côté de deux dames qu’il a aidées à monter dans le wagon. A l’arrivée, il est chargé de recruter un guide pour nous faire traverser la Mer de Glace.
- Ce n’est pas un problème d’en trouver un, avait dit Armand Charlet qui emmenait Monsieur Guimer en montagne. Tu les trouves au bord du glacier, t’en choisis un, et vogue la galère !
Tout juste sorti du train, je me trouve en direction du Dru et m’écrie :
- Regardez, c’est le Dru !
- Je sais bien, répondit Pierre, on le voit depuis l’hôtel,qu’est-ce que tu crois !
Antoinette, bouche bée, regarde l’incroyable pain de sucre quand Monsieur Tardini nous appelle pour descendre sur le glacier. Pressé de fouler la glace, je dévale la pente mais m’arrête quand Antoinette me demande de l’attendre. Des groupes de touristes nous suivent. Au bord du glacier des rassemblements se forment autour des guides qui proposent des promenades sur la Mer de Glace.
Monsieur Tardini se dirige vers trois hommes qui achèvent de ranger les restes du casse-croûte dans leurs sacs. Ils sont bien plus âgés que nos parents, sont tous moustachus et portent une médaille sur le revers de leurs vestes. il les salue en soulevant son chapeau blanc à bout de bras et dit :
- Messieurs les guides , voici deux jeunes garçons et une demoiselle animés de l’ardent désir de traverser la Mer de Glace. Puis-je confier ces âmes aventureuses à l’un d’entre vous ?
- Ma fois, ça peut se faire, répond le plus vieux des trois, en ajustant son béret. Faut voir le tarif.
Pendant que Monsieur Tardini négocie avec le guide au béret, un de ses collègues s’approche de nous :
- C’est qui le plus fort ? demande-t-il, en déroulant une corde.
- C’est moi ! m’écriai-je, en même temps que pierre.
- Bon. on va faire autrement. qui veut être le premier ?
- Moi !
- Moi !
- Ça se complique, mais j’ai une idée : le premier sera le deuxième et le dernier sera le plus fort. Ça vous va ?
Pierre, les sourcils froncés, cherche à comprendre. Moi aussi, mais le guide ayant commencé à m’attacher à un bout de la corde, je comprends que je vais être le dernier. donc le plus fort. Après moi il encorde Antoinette.
- Eh ben toi, tu vois, lui dit-il, t’es pas la plus forte, t’es pas la première, mais t’es bien la plus jolie !
Ensuite il attache Pierre, puis tend le bout libre de la corde au guide qui a marchandé avec Monsieur Tardini. Celui-ci s’en saisit, s’encorde prestement, nous observe en silence, s’approche d’Antoinette, remet ses lunettes de glacier à l’endroit, et toujours sans rien dire, met le cap droit sur le glacier. Pierre hésite un instant mais est bien obligé de partir quand la corde se tend et le tire vers l’avant. Il en va de même pour Antoinette et moi.
Au bout d’une centaine de mètres, Lulu
- C’est ainsi que j’ai entendu les autres guides l’appeler
- Lulu s’arrête net, se retourne et crie :
- Stop, on ne bouge plus !
Puis tout de suite après :
- Venez tous ici !
Une fois rassemblés autour de lui, il nous explique pour quoi, à cause des crevasses, il faut marcher à corde tendue, et donc à chaque fois qu’il s’arrête, nous devons nous arrêter aussi.
- Et si on tombe quand même dans une crevasse ? Demande Pierre.
- Parle pas de malheur, répond Lulu en arrangeant son béret. Si on tombe, on fera ce qu’on pourra.
- Mais la corde dis-je, on est retenu.
- Ça, mon bonhomme, c’est une autre histoire. mais c’est pas le tout, si on veut traverser et rentrer à l’heure, il faut y aller.
Ma première grande surprise, c’est la glace de la Mer de Glace : je m’attendais à me retrouver sur une patinoire, à glisser sur une surface dure et transparente comme la glace qui prend, l’hiver, par un grand froid, dans le bassin de notre parc, à Grenoble.
Mais pas du tout : celle-là est sale, recouverte de grains noirâtres, de cailloux. Elle crisse sous les pieds, elle est tendre et l’eau coule par une multitude de petites rigoles qui creusent sa surface. Elle n’est belle et bleue que dans les crevasses les plus profondes, celles que notre guide nous fait contourner largement. Il nous montre un moulin, cette espèce de trou dans lequel s’engouffre comme dans un siphon, pour aller jusqu’au fond du glacier, deux cents mètres plus bas.
Des questions, j’en ai mille à poser à Lulu, mais en marchant vingt mètres derrière lui, c’est impossible. Je profite des rares arrêts pour lui demander le nom des sommets qui nous entourent, et si on peut les escalader.
- Tous ! répond Lulu.
- Et vous Monsieur, vous les avez escaladés ?
- Presque tous.
Sa réponse me stupéfie. Je n’arrive pas à imaginer ce petit homme déjà âgé escalader les aiguilles incroyablement raides qui nous entourent. pour moi, un alpiniste est un homme grand et fort, qui n’a peur de rien. Un mélange de Rodolphe et de Monsieur Robert. Et pourtant Lulu est guide, et pas eux.
Arrivé sur la rive opposée, il s’assoit sur un bloc de rocher et, ouvrant son sac, décrète qu’il est temps de manger, de boire parce qu’il fait chaud, et de rester encordés parce que sur les glaciers, on reste toujours encordé.
- Et ce n’est le tout, dès que c’est fini, on repart, pour être au train de onze heurs au Montenvers.
Pierre sort de son sac le pain et le chocolat et moi la gourde de sirop de grenadine. Lulu découpe des morceaux de lard et de pain qu’il mange à la pointe de couteau et boit du vin à la bouteille. Je profite de la pause pour lui demander s’il est vrai qu’il y a des alpinistes morts, conservés dans la glace, en dessous de nous.
- Bien sûr qu’il y en a, répond Lulu. Ceux qui sont tombés dans une crevasse et qu’on n’a pas repêchés. Y descendent dans la vallée avec le glacier.
- Pourquoi ils descendent ? demande Antoinette.
- Parce que les glaciers avancent, dit Pierre. Tu savais même pas ça ?
- Non Monsieur Je-sais-tout ! réplique vivement Antoinette. Moi, quand je ne sais pas je pose des questions !
- T’as bien raison dit Lulu, c’est comme ça qu’on apprend. Mais toi Pierre, sais-tu de combien il avance chaque jour ?
- Euh... Je ne sais pas, concéda Pierre.
- Comment, tu n’as pas senti la glace bouger sous tes pieds quand on est venu ici ? Et vous autres non plus ?
Je réponds que non, et Antoinette aussi. Mais j’ajoute que je ferai attention au retour.
- Ça tombe bien dit Lulu, en rangeant sa bouteille dans son sac, justement on va rentrer.
Avant de partir je lui demandai s’il avait déjà vu des cadavres d’alpinistes sortir de la Mer de Glace.
- Pas moi, mais j’en connais qui on vu des morceaux au bout du glacier des Bossons. Un jour, mon grand-père a trouvé une montre en or dans la poche d’un lambeau de veste d’un Anglais. Il l’a vendue et avec les sous il a acheté deux vaches.
- Il y a des trésors dans la glace ! s’exclame Pierre. Et si on en trouvait un, à qui il serait ?
- A celui qui le trouve, répond Lulu. mais crois-moi garçon, y a plus d’os que d’or là-dessous.
- Comment savez-vous que c’était un Anglais ? questionnai-je.
- Parce qu’il y avait beaucoup d’Anglais qui venaient à Chamonix du temps de mon grand-père et que les guides n’avaient pas de montre en or. Bon, c’est pas le tout, ajoute Lulu en se levant, faut y aller.
A chaque arrêt, je demande à Pierre et Antoinette s’ils sentent le glacier avancer sous leurs pieds. Ils ne sentent rien, moi non plus. Arrivés sur l’autre rive, nous demandons à Lulu de combien on a avancé.
- Ma foi, dit Lulu, on a bien fait ... allez, deux centimètres depuis ce matin.
- C’est tout ?
- C’est tout et c’est beaucoup, et si vous restez assis là, vous mettrez quinze ans pour arriver à Chamonix. Et c’est vos parents qui ne seront pas contents, ajouta-t-il en se tournant vers Monsieur Tardini, qui s’avance vers nous en s’éventant avec son chapeau.
Lulu nous débarrasse de la corde, et après l’avoir remercié, nous nous précipitons sur le sentier du Montenvers. En attendant Monsieur Tardini, qui peine à nous suivre dans la montée, je regarde encore une foisces sommets que je n’avais jamais vus d’aussi près :
Les drus, le Grépon, les Grandes Jorasses et les quelques autres que notre guide m’a nommés. Ce sont eux qui m’attirent, eux que je veux un jour escalader.
Je me suis bien amusé aujourd’hui, sur le glacier, avec mes amis, et Lulu a été très gentil. Si s’encorder et fouler un glacier c’est faire de l’alpinisme, alors j’ai été, pour la première fois de ma vie, un alpiniste. mais les vrais continuent jusqu’en haut du glacier, franchissent les rimaye, grimpent sur les rochers et à la fin, tout là-haut, se dressent sur la cime. J’ai douze ans et je suis déjà un petit alpiniste... Comme c’est long de devenir grand !